Tout le monde s’entend pour dire qu’apprendre une ou plusieurs langues est quelque chose de résolument positif. Par contre, quand cet apprentissage se fait durant la petite enfance, certains diront que des mises en garde sont nécessaires. Qu’en est-il vraiment? Comme orthophoniste travaillant régulièrement avec des enfants bilingues de tous les âges, je m’attaque presque quotidiennement aux mythes entourant le développement du langage dans un contexte d’apprentissage d’une langue seconde ou de bilinguisme.
Avant de commencer, voici une petite parenthèse puisqu’il est important de distinguer deux types de bilinguismes :
1. Bilinguisme simultané : dès la naissance, l’enfant est exposé de façon significative à deux langues.
2. Bilinguisme séquentiel : lorsque la langue maternelle est bien établie (généralement vers 3 ans et plus), l’enfant est exposé de façon significative à une langue seconde.
Un enfant qui apprend une nouvelle langue de manière séquentielle risque de passer par les stades suivants (et c’est tout à fait normal):
- Au début, il peut s’exprimer dans sa langue maternelle (même si c’est moins approprié)
- Il peut avoir une période de « silence » où il communique avec quelques mots ou des gestes. C’est généralement une période où l’enfant développe sa compréhension de la nouvelle langue. Cette période peut durer quelques voire quelques mois (jusqu’à 6 plus précisément).
- L’enfant utilise souvent des phrases « toutes faites » qu’il mémorise.
- L’enfant commence à générer ses propres phrases dans la langue seconde.
Maintenant que vous en connaissez un peu plus sur le bilinguisme, voici quelques mythes démystifiés par une orthophoniste:
Mythe #1 : Les enfants qui sont exposés à plus d’une langue sont à risque de développer des retards de langage
EN RÉALITÉ: De nombreuses études se sont penchées sur cette question et les experts sont unanimes : un enfant n’est ni plus ni moins à risque de développer un retard de langage en raison de l’exposition à plus d’une langue. Bien qu’il soit possible que le vocabulaire dans chaque langue d’un enfant bilingue soit inférieur à la moyenne, son vocabulaire total (incluant la sommes des 2 langues) peut même être supérieur. Les enfants bilingues peuvent parfois dire leur premier mot un peu plus tard que les enfants unilingues, mais les délais demeurent dans la norme (entre 8 et 15 mois) (Miesel, 2004). De plus, les enfants bilingues suivent le même rythme que les unilingues pour l’apprentissage de la grammaire et la formulation de phrases. D’ailleurs, un enfant qui éprouve des difficultés à ce stade pourrait être à risque de développer un retard de langage (qui n’est pas causé par le bilinguisme).
Mythe #2 : Quand les enfants combinent plus d’une langue en s’exprimant, ça veut dire qu’ils sont confus.
EN RÉALITÉ : Il s’agit de « code switching » et c’est quelque chose de tout à fait normal chez les bilingues (même les adultes). Dans plusieurs cas, les enfants adaptent le niveau de code switching à leur partenaire de conversation (ils mélangent les langues que l’autre personne connaît). Ça peut aussi leur servir à compléter une phrase avec un mot qu’ils ne connaissent que dans l’autre langue.
Mythe #3 : une personne n’est bilingue que si elle est aussi compétente dans chacune des langues qu’elle parle.
EN RÉALITÉ : C’est en effet plutôt rare. La grande majorité des bilingues ont une langue de préférence et cette préférence peut varier durant leur vie. Le bilinguisme est une réalité qui varie énormément selon les individus. Le contexte où l’on est exposé, de même que le registre de langage a une influence sur la façon dont on s’exprime. On n’est pas moins bilingue pour autant!
Mythe #4 : les parents devraient utiliser l’approche « un parent, une langue »
EN RÉALITÉ : Aucun avantage de cette méthode n’a été démontré. En effet, les enfants vont faire du code switching, peu importe l’approche. Le plus important est que les parents parlent avec leur enfant de façon naturelle et confortable. En fait, ce qui est démontré, c’est que c’est la qualité du langage qui a un impact significatif. Il est donc recommandé de parler avec les enfants dans une langue qu’on maitrise. Les enfants apprennent par exposition, il est donc important de leur donner un bon modèle.
Et parce que vous vous posez probablement plusieurs questions sur le comment faire si votre enfant est dans cette situation, des astuces pour aider votre enfant à maîtriser une langue seconde sont à venir prochainement sur le blogue.
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Références
American Speech-Language-Hearing Association. (2004). Knowledge and Skills Needed by Speech-Language Pathologists and Audiologists to Provide Culturally and Linguistically Appropriate Services [Knowledge and Skills]. Tiré de www.asha.org/policy.
American Speech-Language-Hearing Association. The advantages of being bilingual. Tiré de https://www.asha.org/public/speech/development/the-advantages-of-being-bilingual/
Lauren Lowry for The Hanen Centre (2016). Bilingualism in young children : separating facts from fiction. Tiré de : http://www.hanen.org/Helpful-Info/Articles/Bilingualism-in-Young-Children–Separating-Fact-fr.aspx
Paradis, J., Genesee, F., & Crago, M. (2011). Dual Language Development and Disorders: A handbook on bilingualism & second language learning. Baltimore, MD: Paul H. Brookes Publishing.
Meisel, J. (2004). The Bilingual Child. In T. Bhatia & W. Ritchie (Eds.), The Handbook of Bilingualism. pp 91-113. Blackwell Publishing Ltd.
Mais qu’en est-il d’un enfant qui a déjà un trouble de langage oral et qui est exposé au bilinguisme?
Pour les cas de difficultés ou de trouble d’apprentissage au langage écrit, le bilinguisme est une source supplémentaire de charge cognitive, confondant les CPG. Malheureusement, je n’ai pas trouvé de littérature sur ces impacts, mais je l’ai quand même constaté.
J’ai transmis votre question à ma collaboratrice 🙂
En effet Manon, c’est vrai que le fait d’apprendre à lire et à écrire dans deux langues impose un plus grand apprentissage pour réussir à faire les liens entre les sons et les lettres. Quand l’enfant dispose de ressources qui peuvent le soutenir dans chaque langue, c’est souvent un apprentissage qui en vaut la peine puisque le bilinguisme ouvre des portes tout au long de la vie. Il peut toutefois y avoir des exceptions tout dépendant de la situation personnelle. Par contre, ce qui est certain c’est que le fait de retirer une langue ne fera que réduire la quantité des apprentissages, sans pour autant faciliter ceux qui restent (comme tu l’as peut-être déjà constaté).
En bref, c’est une question complexe et il est important de peser le pour et le contre (c’est souvent le travail des orthophonistes d’aider les parents à y voir plus clair).
Merci pour cette réflexion super intéressante!